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Wine People - Interviews des acteurs du VIN dans le monde -
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22 janvier 2007

M. Jacques FORGET, Président de la SOCAV

petitbandeau

Lundi 15 janvier 2007
- Entretien avec M. Jacques FORGET -
Président de la société de négoce SOCAV, à Bergerac.
http://www.socav.fr

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Raphael : Bonjour Jacques. Pourrais-tu me rappeler comment tu as commencé ta carrière dans le vin et les principales étapes de ton parcours ?
M. Jacques Forget : J’ai commencé dans le vin tout à fait par hasard, puisqu’en sortant de l’Agro je n’avais pas d’idée très précise de ce que je voulais faire, si ce n’est que j’avais fait Agro pour ne jamais faire commercial dans ma vie ! [sourire]. Et donc à l’époque mes parents ayant acquis une propriété sur Monfaucon, ils avaient été en contact avec le Président d’UNIDOR, M. Raymond Chandou, que j’ai appelé à la sortie de mon école. Il m’a proposé de le rejoindre et j’ai commencé par un stage, avant de continuer à travailler pour lui.
En 1976, il m’a offert une opportunité incroyable. Producta venait de racheter une société de négoce à Bergerac et le Président me l’a confiée en me disant « de toutes façons ils ont fait 900 000 Francs de chiffre d’affaire et 300 000 Francs de perte, donc vous ne pourrez pas faire pire ». J’avais tout juste 24 ans à l’époque et j’ai eu cette chance de tomber sur quelqu’un comme M. Chandou. Je me souviens lui avoir dit « mais je n’ai jamais bu de vin de ma vie, je n’ai jamais rien vendu  » et lui de me répondre « et bien vous apprendrez, et ce n’est pas de vendre qui est difficile, mais c’est d’avoir un bon produit ».
En 1978, j’ai repris la direction commerciale de Producta, et en 1990, j’ai rejoint la SOCAV qui est une société de négoce créée par Jean-Paul Marmin, un ancien de Producta.

Tu as également été Président du CIVRB (Conseil Interprofessionnel des Vins de la Région de Bergerac) ?
J’ai effectivement fait la présidence entre 1993 et 1995 lorsque le CIVRB est devenu une véritable interprofession, c’est-à-dire un organisme paritaire des 2 familles, production et négoce. Avec le directeur de l’époque, Jean-Jacques Chalmeau, nous avons remis en place les statuts de l’interprofession (avant il y avait différents intervenants, des restaurateurs, des courtiers, peu de négociants…) avec un collège de 18 membres, 9 producteurs et 9 négociants. A cette époque les vins se vendaient bien et les budgets en conséquence nous ont permis de faire 2 choses : une nouvelle édition du Féret de Bergerac et ses Vins (la précédente et unique édition datant de 1903), et la réhabilitation du cloître des Récollets qui tombait en ruine et qui est aujourd’hui un superbe bâtiment, siège de l’Interprofession. Après cette présidence je me suis retiré, la SOCAV étant une petite structure ça me prend beaucoup de temps, et l’administration de l’interprofession était également très prenante, mais j’y vais encore en tant que personne qualifiée lorsque je suis invitée aux réunions. A la fin de mon mandat, avec mon successeur Laurent de Beauredon, nous avons essayé de faire un rapprochement avec le CIVB pour faire une interprofession Aquitaine (nos différentes régions ayant les mêmes types de vins, avec les mêmes cépages, même climat et donc même combat). Elle a vu le jour mais n’est pas allée plus loin puisque la crise est arrivée après. C’est dommage de ne pas avoir cette bannière Aquitaine sous la bannière France. Aujourd’hui nous avons seulement le vin de Pays d’Atlantique, mais qui risque de devenir un déversoir aux mauvais Bordeaux. C’est un peu le problème de l’individualisme quand ça va mal…

Que fait la SOCAV ?
La SOCAV vend des vins de Bordeaux et de Bergerac dans la grande distribution et à l’export : marchés européens et Asie (surtout Japon au départ, un peu plus la Chine maintenant) très peu l’Amérique du Nord car nous n’avions pas un réseau de distribution solide, nécessaire pour vendre aux US. Nous sommes 13 personnes, pour à peu près 15 millions de chiffre d’affaire. Nous vendons autant de Bordeaux que de Bergerac, soit un ratio de chiffre d’affaire de 65/35 puisque les Bordeaux se vendent plus chers au prix unitaire, dû aussi au fait que nous faisons quelques crus classés.

La SOCAV fait désormais partie du Groupe OenoAlliance, est-ce une fusion ou un partenariat ?
En effet la SOCAV fait partie du groupe OenoAlliance, qui s’est créé en 1999, avec 4 sociétés de négoces, 3 bordelaises -qui ont quasiment fusionné maintenant (sous le nom d’Oenoalliance pour la partie négoce et Oenoproduction pour la partie embouteillage)- qui étaient André Quancard André, Promocom et Vinyrama, et notre société bergeracoise SOCAV qui est restée non pas indépendante, mais autonome. Il nous arrive parfois d’être concurrent sur certains marchés, mais de manière générale nous n’avons pas les mêmes types de produits puisque nous sommes un peu plus « haut de gamme » (n’ayant pas de chaîne d’embouteillage nous ne faisons que de la mise en bouteilles d’origine). D’où notre autonomie, sur nos gammes, nos stocks, nos clientèles.

Comment a été faite la sélection des vins vendus par la SOCAV ?
Comme tout négociant, soit nous travaillons sur l’offre, soit sur la demande. La demande consiste à voir ce que veulent les clients et voir si on peut leur trouver, typique des marques de distributeurs (MDD). Par exemple E. Leclerc veut faire un Bergerac rouge ou un Monbazillac, on a un cahier des charges et on leur trouve. Sinon c’est le marketing de l’offre, à savoir d’essayer de sélectionner des vins qui nous paraissent convenir pour pouvoir être revendus par nos clients dans de bonnes conditions pour qu’ils gagnent leur vie et que les consommateurs soient satisfaits. Ce sont des sélections plutôt de vins de Château, typiques et haut de gamme que de marque que l’on essaie de proposer à nos différents partenaires.

Comment mettez-vous en avant vos vins ?
On est partis du principe que le consommateur (la ménagère principalement) était complètement perdu pour acheter ses vins (que ce soit en France ou à l’étranger d’ailleurs), et que donc il faut l’aider et le guider, ce que l’on fait par un certain nombre de mentions sur l’étiquette. En France on utilise la notion d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) et éventuellement des sélections supplémentaires que sont les médailles. Tout en gardant à l’esprit que la notion de médaille n’a pas tant de crédibilité que ça dans l’économie du vin, puisque c’est compliqué à mettre en œuvre, et c’est très subjectif : est-ce que le vin livré est celui dégusté, est-ce qu’il a évolué, est-ce qu’il était déjà en bouteille ou non, qui composaient le jury, amateurs ou professionnels. Nous avons donc appuyé notre sélection et nos conseils depuis plus de 15 ans sur le partenariat avec Jean-Luc Pouteau, premier français meilleur sommelier du monde en 1983. Il déguste tous nos vins qu’il recommande ou non, ce que nous inscrivons sur l’étiquette. Sur une contre-étiquette il ajoute ses propres commentaires de dégustations et conseils de consommation.
Ce travail de conseil, base de notre argument de vente a été un support formidable pour l’Europe en général, exception faite de l’Angleterre où les gens ne sont pas sensibles à la notion de « meilleur sommelier du monde ». L’Angleterre est aujourd’hui un marché de vin de cépage, par exemple ils vont promouvoir le « meilleur Chardonnay du monde ». Il faut bien comprendre que les anglais comme la majorité des gens dans le monde, ne consomment pas le vin pendant le repas (comme en France, Italie ou Espagne) mais en dehors. D’où une notion de « sommelier » très réduite.

Avez-vous la même stratégie sur les marchés asiatiques ?
Pour nos nouveaux marchés, comme la Chine, nous essayons d’éduquer le consommateur par le haut de gamme, au départ au travers de la restauration. Au Japon où nous sommes depuis de nombreuses années nous connaissons très bien les appariements entre les mets et les vins. Qui plus est nous avons la chance que JL Pouteau soit un « dieu vivant » là-bas, puisqu’il a énormément travaillé avec le groupe Lenôtre au Japon, où il a formé un dénommé Shinya Tasaki, à son tour meilleur sommelier du monde en 1995. Sa réputation au Japon nous a donc permis de nous lancer sur la grande restauration et sur les commerces spécialisés. Il se rend là-bas 3 fois par an entre 8 et 15 jours pour nous représenter et faire de l’animation commerciale avec notre importateur (qui a l’exclusivité de notre gamme Pouteau), des dégustations, des animations dans les magasins. Il réalise un gros travail pour nous ! Le suivi avec le marché japonais et auprès de notre importateur se passe sans problème. Ils sont tout à fait réglo et nous nous déplaçons assez souvent nous même (j’y suis allé 3 fois l’année dernière, mon directeur commercial s’y rend régulièrement), sans compter notre présence à Vinexpo.

Est-ce que la SOCAV pourrait élargir son portefeuille à d’autres vins de France que Bordeaux et Bergerac ?
On fait ce qu’on sait faire. On connaît bien les Bordeaux et Bergerac, moins bien les autres. On fait quand même un petit peu d’autres vins, avec notre partenaire de Promocom on a des implantations dans le sud, donc on fait quelques lots mais ce n’est pas notre métier. Qui trop embrasse mal étreint. Nous sommes une petite société donc nous ne pouvons pas aller sur tous les marchés.

Est-ce que vous vendez autant de vins rouge que de blanc ?
En France c’est bien sûr surtout du rouge. On a un rapport de 9 bouteilles de rouge pour 1 bouteille de blanc. A l’export les rapports sont inversés avec 2/3 de blanc, 1/3 de rouge, essentiellement sur les marchés anglo-saxons. Sur l’Europe nous travaillons plus les vins rouge que les vins blancs ce qui n’est pas représentatif du marché mondial qui est un marché de vin blanc. Il n’y a que 4 pays dans le monde où quand on prononce le mot « vin » on pense « rouge », à savoir la France, l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Le reste du monde parle de blanc pour le vin. En France on a des appellations où il est extrêmement difficile de se faire une notoriété sur 2 couleurs. C’est l’un ou l’autre. Alsace, Loire c’est blanc. Le Bourgogne les plus grands crus sont blancs. Les Bordeaux (comme dans l’Entre-Deux-Mers) étaient principalement blanc il y a 50 ans (à 55% environ) et sont aujourd’hui quasiment tous rouge.
Dans tout ça le Rosé reste marginal avec quelques pourcents. En revanche il a une progression étonnante, notamment sur le marché européen, et plus précisément le marché français. En quelque sorte c’est rassurant le rosé, parce qu’on a l’impression que c’est moins lourd. Pour toutes les raisons de diététiques, d’alcoolémie au volant, de mode de vie, d’hygiène de vie etc… la consommation du rosé se développe en France avec des taux de croissance à 3 chiffres. Ca double tous les ans ou presque, mais ça part de très très bas. Par contre dans le monde le développement du Rosé est modéré. Ca reste très méditerranéen.

En tant que Responsable pour les marchés français, comment vois-tu le consommateur moyen français aujourd’hui ?
Il boit différemment. Il boit moins, mais mieux. La consommation tend inévitablement vers les moyennes des pays normalement consommateurs, et devrait se caler autour de 30 litres par an et par habitant, alors qu’on était à 120 litres au début des années 60. On doit être actuellement encore aux alentours de 50. Ca va encore baisser car ce n’est plus un produit alimentaire pour les jeunes qui ne boivent pas de vin. On a complètement cassé la consommation. Dès qu’on pointe du doigt les problèmes de l’alcoolisme c’est le vin qui prend en premier. Personne ne parle des cocktails, de la bière, des spiritueux (ou à peine). Il n’y a pas une campagne de communication contre l’alcool qui ne soit pas symbolisée par une bouteille de vin. Donc la consommation va continuer à baisser, se porter sur des vins meilleurs en qualité, c’est-à-dire en type de produit, en packaging, en élaboration, en rendemment, en concentration, en rondeur, donc des vins avec à priori des prix en rayons plus élevés, parallèlement le vin n’est plus un produit de première nécessité, c’est un produit de plaisir et donc il n’y a plus de besoin). Il y a donc une catégorie prête à payer très cher, à savoir les amateurs, les grands collectionneurs, les découvreurs de crus classés ; mais sinon la plupart des consommateurs voudront des très bons vins mais pas très chers. C’est-à-dire que la bulle de la fin des années 90 a éclaté, où on était tous persuadé qu’on pouvait vendre des jolis Bordeaux Supérieur à 15€, des Lussac St Emilion à 18€. Aujourd’hui on doit revenir sur terre.

Penses-tu que les français vont s’ouvrir sur les vins du nouveau monde ?
Il y a une petite demande, tout à fait marginale. Les vins étrangers représentent 2 à 3% de la consommation et ça doit saturer à 5%. Les français ont une tradition de consommation interne, comme en Italie ou en Espagne. Tout le monde zappe une fois pour essayer, par curiosité, mais il n’y a pas de mouvement de fond, on n’arrivera pas à 30% de vins étrangers consommés en France, en tout cas pas dans les 20 prochaines années. Ca reste le côté exotique. La plus forte consommation de vins étrangers en France c’est il me semble Sidi Brahim, de par les communautés d’Afrique du Nord. En deuxième les vins italiens avec le réseau des pizzerias. Les mauvais Chianti d’ailleurs sont tous vendus dans les pizzerias. Ne prend jamais un Chianti en pizzeria, jamais ! [rire]

Quid du marché des marques en France ?
On n’a pas de marques aujourd’hui sur le marché français. Cite m’en une ? Je rectifierais, en France on a une seule vraie marque, c’est le Champagne. Là d’accord, ça a vraiment marché, même si après elle se décline, Veuve Cliquot, Laurent-Perriet etc… ils ont réussi à protéger leur nom, dès que quelqu’un quelque part dans le monde essayait d’utiliser le nom Champagne ils se sont battus, ils l’ont fait condamner. Sinon à part ça comme marque significative en France, il y en a deux peut-être… Mouton Cadet, effectivement qui est une marque mondiale, et Cellier des Dauphins, mais sinon le reste c’est du bricolage. Je parle de vins AOC, car sinon effectivement en vin de table il y a des marques un peu plus solides, la plus belle étant Jean-Pierre Chenet avec la bouteille au goulot incliné ! On n’a pas réussi à implanter de manière significative des marques dignes de ce nom et c’est tout notre problème parce que pour affronter le marché mondial il faut des budgets pub/marketing, des marques et des tailles critiques d’entreprises, et on n’a aucun des 3 ! Pour ce qui est des tailles critiques d’entreprises ça vient doucement avec par exemple le groupe Castel, voire le groupe Boisset en Bourgogne et Grands Chais de France, qui encore arrive à faire de gros chiffre d’affaire surtout parce qu’il vend des produits à forte valeur ajoutée. Après on a une structure de production en France où pour faire une marque en AOC il faut des assemblages sur des vins de la même appellation et du même millésime, et que la production est suffisamment atomisée avec des règles très strictes pour que ça pose toujours des problèmes techniques. Pour l’instant le vin français existe plus au travers des crus classés, et les petits châteaux. Nous sommes donc sur un marché atomisé à l’offre alors que le marché mondial est un marché concentré à l’offre. Par exemple en Australie il y a une quinzaine d’opérateurs, tandis qu’à Bordeaux il y a 400 négociants…

 
Merci Jacques pour ton temps et ces informations et bonne continuation !

 

bandeaubas

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